Une barque se tenait devant nous. Je supposai que Gabriel voulait nous y voir monter. J'allais donc m'y résoudre, bien que l'embarcation n'avait rien de très rassurant, lorsqu'Andrew donna son avis, négatif, s'entend.
Le jeune homme ne voulait pas monter dans la barque, et, en un sens je le comprenais parfaitement, même si nous étions dans une illusion. Puis il me supplia de ne pas le forcer. Je le regardais alors d'un air étonné. Le forcer? Quelle drôle d'idée! Comme si moi, Rose Bellamy petit bout de femme vampirisée, j'allais forcer quelqu'un...

- Je ne vais pas te forcer, enfin! dis-je en souriant. Une petite personne comme moi ne peut physiquement pas forcer une personne comme toi...

Bon, OK, c'était plus tout à fait vrai compte tenu de ma récente métamorphose mais j'aimais à croire que je n'avais pas tellement changé. C'est pourquoi je me comportais exactement comme l'humaine que j'avais été, sauf pour les repas, évidemment.

Puis l'illusion devint de plus en plus étrange. Bien plus bizarre que l'avait été la mienne.
A présent, il y avait de l'eau à perte de vue. C'était joli, serein, mais assez flippant si on ne savait pas nager.
Andrew et moi étions encerclés et, si c'était une métaphore, je ne voyais pas ce qu'elle signifiait, mais alors pas du tout. Nous étions pris au piège, voilà tout. Quand je reviendrai à moi, j'aurais besoin d'explications de la part de mon petit ange.
Cela dit, j'étais loin d'avoir tout vu.
Effectivement, une forme rugueuse surgit bientôt de l'eau. Si nous avions été en Ecosse, j'aurais fini par croire que je venais de rencontrer Nessy. Malheureusement, nous n'étions pas au Loch ness et je ne savais pas du tout ce qui se tramait sous mon nez. oh, bien sur, je n'avais pas peur mais... qu'en était -il d'Andy? C'était pas avec ça que j'allais gagner sa confiance et s'il s'avérait que lui et moi restions de parfaits inconnus ad vitam aeternam, je saurais qui tenir pour responsable : mon bébé et ses illusions étranges.
Mais pour le moment, il nous fallait découvrir le fin mot de cette histoire.

- Tu as vu? demandai-je à Andrew. C'est de plus en plus étrange dans le coin. Finalement, le lycée et ses cours de maths c'étaient pas si glauque que ça.

Ils venaient de sortir de l'illusion. Je dois avouer que je n'aurais jamais imaginé qu'il y aurait un ponton invisible au dessus du lac. Andrew devait déjà connaitre un peu son inconscient pour avoir réagit si rapidement. Il se leva une fois arriver et il vint nous voir, moi et Rose pour nous demander :

"Maintenant, je veux qu'on m'explique. Et sans me mentir, s'il vous plaît.
- C'est simple, tu sais. Je t'ai envoyé dans ton inconscient avec Rose pour que tu sois libérer du poids qui pèse sur toi. Tu n'y es pas arriver jusqu'au bout mais vous avez déjà fait un beau parcours"

Voilà, il allait sois penser que je me moque de lui, que je suis fou ou que j'ai raison et dans ce cas là, il y avait des risques qu'il ait peur de moi. Au moins, peut-être qu'il aurait lutté contre son père en ne l'approchant plus ou en lui collant un procès. J'eus l'idée que je devrais m'éclipser car c'était assez pour aujourd'hui. Je leur dis donc :

"Tout cela m'a un peu fatigué. Dites aux profs que je suis malade."

Je pris mon sac et me dirigeai vers la sorti en modifiant légèrement mon apparence pour qu'elle n'attire pas l'attention.

L'illusion... était vraiment étrange. D'ailleurs, c'était à cela qu'on reconnaissait les illusions, au même titre que les rêves. Heureusement, elle avait une fin, comme les cauchemars, par exemple. En parlant de cauchemars, j'aurais parié une grosse somme d'argent que l'expérience qu'Andrew et moi venions de vivre en avait été un pour le jeune homme.
Il n'avait pas apprécier le petit voyage dans son inconscient, même si c'était un cadeau de la maison. de manière globale, notre ami solitaire aimait se faire discret et SURTOUT qu'on ne lui demande pas de parler de lui. Les rencontres avec l'Inconscient, oui, ça devait réellement pas être son truc.
Quant à moi, je comprenais qu'il attende des explications. Il en avait été de même pour moi la première fois car il fallait reconnaitre que ce genre d'escapade n'avait rien de banal. Néanmoins, j'avais mieux réagi que lui. Je ne m'étais pas énervée, au contraire. J'avais profiter de l'espèce de beauté de mon inconscient, découvrant de biens drôles de choses sur moi.
Mais ce n'était pas le cas d'Andy. Il était furax et je pense que les explications de Gabriel furent un peu trop courtes. Moi, si j'avais été le jeune homme, j'en aurais demandé plus.
Mais déjà mon bébé s'en allait. Il était épuisé par ce "voyage". Je souris. Si ça l'épuisait à ce point, personne ne l'avait obligé à nous faire vivre ce moment. Et puis, désolée bébé; mais fatigué ou pas, je ne comptais pas le laisser partir comme ça. Moi aussi j'avais une question pour lui.
Je me demandais pourquoi j'avais voyagé avec Andrew et si ce n'était pas juste l'indiscrétion même que de m'envoyer dans la tête d'un autre.

- Gabriel! dis-je en le rattrapant. Moi aussi j'ai une question! Pourquoi tu m'as envoyée avec Andrew?

Je sens déjà saillir de toute fosse obscure
Mille fiers animaux goulûment animés
Qui à me dévorer mettront toute leur cure
Quand mes esprits vitaux se verront consumés,
Et pour honnêtement dresser ma sépulture,
D'un loup m'entomberont les boyaux affamés,
Ni ne veux ciseler le marbre ou le porphyre
Car mon corps pour tombeau méritait encor pire !

Maudit soit le jour noir que cette lèvre ouverte
Donna nom au bel oeil qui m'induit à ce sort,
Maudits soient tant de jours dont je pleure la perte,
Suivant cette lumière en qui je vis ma mort,
Maudits soient les écrits et la rime diserte
Dont mon amour lui fit un honorable fort,
Et maudit soit le temps que j'y perdis la vue,
Le mois, l'an et le jour et l'heure qui me tue !
Flaminio de Birague, Je sens déjà saillir de toute fosse obscure

Avant que j'ai eu le temps de sortir du lycée, Rose me rattrapa et me demanda :

"Gabriel! Moi aussi j'ai une question! Pourquoi tu m'as envoyée avec Andrew?
- Rose, la réponse est simple : Je ne sais même pas comment je t'ai envoyé dans son inconscient. Je pense qu'i... que mon inconscient a décidé de t'envoyer là-bas."

Un peu plus et j'aurais révélé Son existence. Quand je parlais de Lui, personne ne me comprenait. Enfin, j'avais réussi à détourner ma réponse. Je vis alors Andrew me rattraper pour me demander :

"Même si tu avais raison -ce dont je doute, nous ne sommes à pas au monde des fées, il n'y a pas de magie ici, non ?- tu trouves que c'était un "beau parcourt" ? Tu te moques du monde ou quoi ?"

Avant même que je ne puisse répondre à sa question que je trouvais un peu légère, il enchaina sur une autre question :

"Attends, je me suis fait tabassé, tu m'as torturé mentalement, physiquement, et tu trouves que c'était quelque chose de BEAU ? Tu te sens bien, ou quoi ? Tu trouves ça drôle de pousser les gens à bout ?"

Je répondis calmement à sa première question avec un pointe d'ironie :

"Voyons, tout le monde sait pourtant que je suis un ange"

En même temps, je me fis pousser des ailes en illusion. J'eus alors une grimace de douleur. J'étais trop épuisé pour utiliser mon don. Les ailes que j'avais créé s'effritèrent rapidement puis disparurent. J'avais juste assez d'énergie pour garder l'apparence d'un homme de 16 ans. Je finis ensuite de répondre à ses question :

"Je n'ai pas eu la volonté de te pousser à bout. Mon action aurait pu te soulager mais tes démons étaient trop ancrés en toi pour que tu t'en débarrasses. Sur ton lit de mort, tu ne pourras pas dire qu'on ne t'a jamais laissé de chance de te libérer car cela ne sera pas vrai. Le destin t'aura laissé une chance mais la faiblesse et ta peur t'avaient fait la refuser.

Gabriel se retourna et répondit à nos questions en commençant par la mienne. Mon bébé était assez galant pour laisser l'honneur aux dames. Cependant, sa réponse ne me satisfaisait pas vraiment. Elle était un peu trop générale et mon don me disait que quelque chose ne tournait pas rond. Le problème c'est que je n'avais pas la moindre idée de ce que c'était.
Mais le fait est que Gabriel avait interrompu sa phrase pour l'achever différemment. Ce n'était surement pas un hasard car le hasard ne rimait pas avec mon petit ange. Donc il y avait une autre chose mais comme dit, je ne savais pas quoi. Si j'avais été plus qu'empathe, je l'aurais peut être devinée mais je n'étais qu'une petite empathe. Donc en gros les secrets de mon bébé étaient bien gardés... Pour le moment.
D'ailleurs, ce n'était qu'un détail auquel j'aurais tout le temps de me consacrer plus tard. Pour le moment... ce n'était justement pas le moment.
Gabriel détourna son attention de moi et répondit à Andrew par une pointe d'humour qui ne me déplut pas. Cela dit, ce n'était pas non plus le moment pour de l'ironie. Andy ne devait pas être d'humeur. De plus, Gabriel n'était pas si angélique que ça. Rien que ses demies réponses qui n'apprenaient pas grand chose étaient diaboliquement pénibles.
Puis Gabriel s'expliqua, calme et posé comme toujours. Et maladroit, aussi. Cela dit, il n'avait que sept ans. on ne pouvait décemment pas lui demander la Lune. Néanmoins, j'ajoutai :

- Gabriel n'est pas mauvais, juste un peu maladroit. Il n'aurait peut être pas du, c'était surement précipité et c'était peut être pas le moment. Mais je te promets, Andy, qu'il ne te veut pas de mal. Et moi non plus, d'ailleurs.

Dieu mit-il plus de grâce au souffle d'un ruisseau ?
Est-ce l'éden rouvert à son hymne touchante,
Laissant sur l'oreiller de l'enfant qui s'endort,
Poindre tous les soleils qui lui cachent la mort ?
Et l'enfant assoupi, sous cette âme voilée,
Reconnaît-il les bruits d'une vie écoulée ?
Est-ce un cantique appris à son départ du ciel,
Où l'adieu d'un jeune ange épancha quelque miel ?
Marceline Desbordes-Valmore, La maison de ma mère

Après que j'ai parlé, Rose ajouta aussi quelques paroles pour adoucir les miennes qui devait paraitre un peu dures :

"Gabriel n'est pas mauvais, juste un peu maladroit. Il n'aurait peut être pas du, c'était surement précipité et c'était peut être pas le moment. Mais je te promets, Andy, qu'il ne te veut pas de mal. Et moi non plus, d'ailleurs.
-Mon lit de mort, Gabriel ? Parce que tu crois vraiment que je vais mourir entouré de mes proches ? Tu te trompe lourdement. Si je meurs, je serais seul, comme aujourd'hui, comme hier, comme demain. Et, il y a de fortes chances que ce soit sous les coups de mon salaud de père, alors, je ne risque pas d'avoir le temps de me plaindre." me répondit Andrew.

Alors j'avais raison... C'est bien ce qu'il me semblait. Il était bien battu par son père. À ce stade ses paroles confirmaient seulement ce que je pensais. Il avais enfin avouer la dure vérité à laquelle il s'apposait tout le temps. Celle qu'il ne voulait révélé sous aucun prétexte. C'était peut-être signe qu'il nous faisait un peu confiance. Il ajouta à cela :

"Oh puis mince, laissez-moi, j'en ai marre de vos histoires de cinglés...
-En revoir Andrew, si tu as besoin d'aide, viens nous voir." lui répondis-je avant qu'il ne parte.

Il commençait déjà à se diriger vers ailleurs. Il voulait nous fuir, surement pour réfléchir. J'eus un pauvre sourire pour Rose et je lui dis :

"Au revoir Rose. Nous nous reverrons surement demain ou plus tard."

Après quoi je tournais les talons et partis vers la sortie du lycée. J'avais passé assez de temps là-bas.